Sous-bois, 2022

Porcelaine, grès, faïence, gravats, bitume, terre, feuilles / Dimentions variables

 

Centre Tignous d'art contemporain de Montreuil, sur une invitation de Julie Sicault Maillé.

Sous-bois est une installation où se mêlent des céramiques émaillées, représentant aussi bien des éléments naturels que des déchets abandonnés. Des champignons, des brins d'herbes, des mauvaises herbes des sacs plastiques, des chaussures, des assiettes en cartons, des post it, des coton-tiges, des confettis, objets insignifiants devenus fragiles et précieux, reposent sur des gravats prélevés dans la ville. L’ensemble, à mi chemin entre réalisme et féérie, figure un échantillon urbain à la lisière d’un sous-bois.

 

 

 

 

 

Thomas Maillet Mezeray
École Normale Supérieure - Département de Philosophie / 2022

 


Le sous-bois est cet espace végétal singulier, intermédiaire entre sol et canopée, où se conjuguent trois strates forestières : la strate arbustive, la strate muscinale et celle herbacée. Creuset de biodiversité, il se situe aux antipodes de l’homogénéité bétonnée de la ville. C’est pourtant cette étrange association qu’explore Aurélie Slonina dans cette installation présentée à l’occasion de l’exposition « Urbanité verte » au Centre Tignous d’Art contemporain. La strate herbacée y a été remplacée par une couche de bitume. Les arbustes ont laissé la place à des objets hétéroclites parmi lesquels on reconnaît plusieurs vocables du langage de l’artiste : le désodorisant de Fraîcheur marine (2009) et de Fraîcheur végétale (2012) ; les chaussures de Sunrise (2015), en particulier les baskets que l’on retrouve comme éléments compositionnels de Green touch (2014) et de Hors-sol (2020). Artefacts signifiants : ne sont-ils pas les témoins d’une société qui met à distance l’homme de la nature – une nature considérée comme sale dont il faudrait se prémunir de tout contact et masquer les odeurs ? En contrepoint, les champignons représentent l’unique forme de vie. Organismes encore mystérieux pour les sciences naturelles, ni animaux ni végétaux, ils déjouent les taxons botaniques qu’Aurélie Slonina aime subvertir. Ce n’est donc pas un hasard s’ils rentrent à plusieurs reprises dans ses compositions : Hepatica fistulina #1 (2010), Hepatica fistulina #2 (2010), Big bang (2012). Compositions où ils sont dotés d’une valeur symbolique ambiguë : parasites se nourrissant de leur hôte, ils remplissent aussi une fonction écologique cruciale en dégradant la matière. Cette dernière valeur semble davantage accentuée dans Sous-bois. Force de régénérescence, ils pullulent sur les déchets synthétiques et laissent poindre l’espoir d’une reconquête de la nature. L’amas central de graviers participe de l’équivoque. S’agit-il d’un tumulus, hommage funèbre à une nature étouffée sous le macadam ? Ou bien est-ce le signe d’une végétation sur le point de briser le bitume et de reprendre ses droits ? Avec la présence d’objets devenus déchets affleure la question du temps. Cette thématique n’est pas nouvelle dans l’œuvre de l’artiste : La Dérive des météores (2020) exprimait « une vision futuriste inquiétante ». Avec Sous-bois, c’est un certain rapport au passé, peut-être nostalgique, qui transparaît. L’escarpin et la sandale aux lanières dorées sont-ils les souvenirs des soirées festives d’une jeunesse désormais éloignée ? Et le morceau de couronne, un fragment d’enfance qui ressurgit ? Quelles que soient les questions soulevées et les interprétations esquissées, l’hybridité de cette installation en fait une matrice d’idées interrogeant notre rapport à nous-mêmes et à notre environnement.