Exposition Ghosts of Mara, Le 6b, sur une invitation de Sarah Nasla et Mathilda Portoghese.
Au coin de ma rue, j’ai vu un tas d’encombrants envahir le trottoir. Au sol, reposaient des livres, quelques vieux meubles, des vêtements élimés, des sacs remplis de choses diverses. A la vue de cet amas d’objets, la plupart des gens passaient leur chemin en dédaignant ce tas d’ordure. D’autres cependant s’arrêtaient, curieux et même attirés. J’étais de ceux-là…
En regardant de plus près, on voyait principalement des ouvrages de philosophie, d’anthropologie ou encore des livres traitant de « phénomènes inexpliqués ». Les objets étaient désuets, les objets électroniques surannés. Il y avait des chaussures démodées, un costume fripé, des meubles de style en morceaux, des sacs en plastique Prisunic défraichis qui recelaient d’antiques trésors. Ces objets d’un autre âge, n’existant plus que chez les brocanteurs, étaient les affaires d’une personne.
Un vieil homme, qui avait passé sa vie dans le quartier, venait de mourir. On avait vidé son appartement au bas de sa rue. Tous ces objets lui ayant appartenu décrivaient une personne érudite, fantaisiste et curieuse. En farfouillant, je trouvais ce qui pour moi étaient des trésors – des déchets pour celui ou celle qui avait tout vidé. Tout en m’accaparant ces objets, je pensais à la personnalité de cette personne abandonnée sur le trottoir. Son portrait prenait peu à peu forme. Son fantôme rodait.
Le tas, qui allait être ramassé le lendemain par le service des encombrants de la ville, était au fil de la journée dépouillé par les badauds. La procession suivait un rythme régulier. Parfois un groupe se formait et de nouvelles interrogations à propos du disparu se propageaient. La conversation s’engageait. Ici sur le trottoir, faisant office d’autel, gisait la dépouille d’un homme dont les objets étaient l’essence même. La plupart des gens repartaient avec un objet dans les mains. Ces gens étaient, à la façon des vautours chargés d’emporter les âmes au ciel dans le rituel funéraire tibétain, les « emporteurs » de l’âme du défunt.
Cette impression d’âme s’éparpillant jusque dans nos maisons, s’est redoublée au souvenir de ce magnifique documentaire "Le Rappel des oiseaux", réalisé par Stéphane Batut. Un documentaire dans lequel l’auteur film pudiquement la cérémonie du Tiang Zan (l'enterrement dans le ciel), une cérémonie funéraire où le corps du défunt est offert en pâture aux vautours. L’offrande aux dakinis (les danseurs du ciel) devient une manière de perpétuer la vie malgré la mort.
Ce film au rythme si singulier, comme hors du temps, m’avait fait une forte impression de recueillement. Avec la même intensité, au coin de ma rue, dans mon quotidien, avec le même respect et aussi avec la même violence, j’eu l’impression d’observer ce même rituel.
Ce jour-là, j’étais le vautour.
L’installation représente les restes d’un bâtiment (fragments de murs, de briques, de portes) à l’intérieur desquelles sont mêlés des objets, modelés un à un en grès puis émaillés, représentant les effets personnels de l’occupant des lieux.
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