Guests, 2017

Bâches bleues / 200 x 200 x 30 cm / 200 x 100 x 30 cm

 

Exposition Infiltration, Centre d'Art APDV, un centre d'art dans un HLM, sur une invitation de Valérie Barot.

Apdv - Centre d'art est né de la volonté de placer l'action artistique au coeur de la réalité sociale et plus précisément au sein des habitations à loyer modéré du groupe RIVP 4001 situé Porte de Vincennes à Paris. Le projet consiste à réinventer et réinvestir les espaces qualifiés d'intermédiaires entre l'espace privé et l'espace public, dont les loges de gardien.ne.s. Mais aussi les cours, les couloirs et les jardins...

Pour l'exposition Infiltration, à la suite d'une immersion et d'une observation attentive du lieu, je propose d'infiltrer un certain nombre d'indésirable dans le groupe HLM. Les oeuvres Guests, Fluorescence et Replicant.

Guests sont des installations éphémères faites avec des bâches en plastique bleu dont les photographies seront exposées dans les loges des gardien.ne.s. Ces bâches sont utilisées dans la construction des abris de fortune qui se multiplient dans le paysage urbain, notamment à la périphérie de Paris. Pliées à la manière de serviettes de tables placées sur les serviettes de nos invités, en forme de fleurs de lotus ou de lys, ces origamis de taille imposante sont des propositions de formes structurées, comme de petites architectures individuelles. Ils redoublent le geste des migrants qui font croître des abris comme croissent les plantes.

 

 

 

 

Guillaume Lassere
Commissaire d’exposition - critique d’art / 2018

 

Aurélie Slonina, l’art de l’infiltration positive Nommée au Prix MAIF avec “Special Guest”, projet de sculpture-architecture qui réunit des notions contraires pour révéler les incohérences de notre époque, Aurélie Slonina poursuit son infiltration d’éléments indésirables dans l’espace urbain. Ses œuvres aux formes hybrides témoignent de la tentative illusoire d’une domestication maîtrisée du vivant.

Parmi les cinq finalistes retenus par le jury du onzième Prix MAIF pour la sculpture ne figure qu’une seule femme, Aurélie Slonina. Artiste discrète, elle compose depuis vingt ans une œuvre qui interroge la place occupée par la nature dans les espaces urbains en infiltrant des “indésirables” dans des lieux publics ou privés. Elle accorde ainsi une place prépondérante à ce qui est volontairement caché ou que l’on refuse de voir et vient perturber le contrôle des hommes sur un environnement qu’ils s’efforcent de maîtriser. Dans la forme comme dans le fond, ses œuvres sont les points de rencontre de deux mondes diamétralement opposés : l’un organisé et sous contrôle, l’autre anarchique et considéré comme nuisible. Comme l’artiste autrichien Lois Weinberger, elle utilise la métaphore d’une communauté des plantes pour révéler la société des humains. Elle privilégie les « mauvaises herbes » à qui elle donne un nouveau statut lorsqu’elle les présente dans les parterres extrêmement composés de jardins à la française. « Special Guest » est l’occasion de revenir sur le travail engagé de l’artiste, de retour en région parisienne où elle vit et travaille désormais après plusieurs séjours à Berlin et quelques années à Los Angeles. Deux villes, deux cultures, dont on retrouve l’influence dans ses œuvres. L’art et la nature, présents à chaque coin de rue de la capitale allemande, renforcent son goût pour l’étude d’une végétation urbaine évoluant sous surveillance. En Californie, elle fait l’expérience du désert et de la lumière, éprouve l’immensité des espaces de la cité des anges. Le sentiment d’être dans l’infini détermine chez elle une nouvelle approche de l’espace. De cette ville du futur déjà obsolète s’échappe une étrangeté ordinaire qui donne l’impression que tout devient possible.

Hybrider les notions contraires

Projet pour une sculpture en bronze, « Special guest » s’inscrit dans la continuité du travail d’Aurélie Slonina, qui en montrant ce (ceux) que l’on ne veut pas voir, souligne l’ambivalence d’une époque pour le moins contradictoire dans sa gestion du vivant et de ses flux. Elle révèle ici un provisoire durable en choisissant d’utiliser un matériau robuste pour figurer la fragilité des plis d’un origami géant réalisé à partir d’une bâche en plastique bleue, symbole désormais de l’habitat précaire des migrants. Témoin banalisé de l’ampleur de la crise humanitaire qui se joue ici et maintenant, ce morceau de plastique ordinaire se multiplie au fur et à mesure des arrivées pour devenir omniprésent dans notre espace urbain. Cette allégorie tragique d’une situation d’urgence et de détresse s’invite dans notre quotidien lorsque le temporaire devient constant. Pour incarner physiquement cette pérennité de la précarité, l’artiste réunit les deux notions contradictoires dans un métissage plastique. Aurélie Slonina compose des œuvres hybrides engendrées par la fusion des contraires, représentations métaphoriques des dissonances du monde. Le trouble provoqué est ici renforcé par une interprétation plurielle du matériau. Si la qualité solide du bronze contredit la légèreté de la bâche pour rendre tangible l’effet d’un provisoire qui dure, à l’inverse, il vient anoblir la pauvreté de la matière plastique. Le précieux alliage de cuivre et d’étain, réservé traditionnellement à la représentation des élites et des rois, impose une image magnifiée des migrants. L’éclat solennel de l’airain gomme les préjugés qui stigmatisent ces populations. Aurélie Slonina désaxe ainsi le regard que l’on porte sur l’autre, celui qui est différent. L’habitat de fortune incarné par la bâche de plastique bleue se transforme en objet poétique sous les plis de l’art japonais de l’origami. Ne nous y trompons pas, s’il parait de prime abord pondéré et ludique, l’art sensible d’Aurélie Slonina convoque la forme plastique pour affirmer un propos politique.

Diplômée de l’Ecole nationale supérieure de Paris-Cergy en 1996, elle fait de la nature l’axe principal de ses recherches. Loin de proposer une image bucolique de paysages sauvages, elle la représente urbaine, c’est-à-dire, captive, contrôlée, artificielle. La nature qui l’intéresse est celle des villes, une nature hybridée par la volonté des hommes qui la placent sous surveillance. Dans les œuvres d’Aurélie Slonina, elle prend la forme de soucoupes volantes organiques ou de jardinières graffiti, de paysages de jeux vidéo, pour témoigner des relations ambigües que nous entretenons avec notre environnement naturel. Pour autant, il n’est pas question de revenir au concept d’une terre mythique d’avant les hommes. Pour l’artiste, il n’y a pas d’Eden originel.

Son art documente avec la plus grande précision les actions de l’homme transformant la nature dans un contexte urbain, l’apprivoisant dans la ville. Nature simulée comme celle des espaces verts, elle est tenue de muter pour répondre aux contraintes communes (et donc artificielles) d’organisation et de bon fonctionnement de la cité. Toutefois, une nature totalement domestiquée, entièrement sous contrôle n’est qu’illusion. Les mauvaises herbes poussent sous le béton. Considérées comme nuisibles, tenues à bonne distance par peur de l’anarchie et du chaos, elles se révèlent pourtant indomptables, poussant fièrement dans les craquelures des dalles de béton, comme pour affirmer leur existence et leur droit à la différence. Le troublant parallèle avec la société des hommes invite à reconsidérer notre rapport à l’autre, « indésirable » dans notre environnement parce que différent, comme le sont des mauvaises herbes dans un espace végétal urbain contrôlé. L’art d’Aurélie Slonina autorise la présence d’exclus là où ils sont précisément interdits : ce sont des plantes rudérales qui répondent à la rigueur géométrique d’un jardin à la française selon un plan de Le Nôtre (« Friche à la française », installation végétale, 2009-12), des orties qui délimitent un labyrinthe – symbole de discipline à travers la maitrise du jeu –, dans un jardin public (« Labyrinthe », installation végétale, 2010), des images de forêts plantées par l’homme qui se succèdent dans une vidéo dont le montage saccadé vient perturber cette harmonie, rappelant son artifice (« Flying saucer », vidéo, 2014), des végétaux colonisant une basket et divers autres objets, témoins éphémères d’une vie antérieure à une catastrophe écologique, œuvres de porcelaine dont la préciosité fragile contredit l’état de délabrement de ces éléments laissés à l’abandon («Sunrise», porcelaine émaillée, 2015).